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SÉLECTION NATURELLE.

la différence spécifique de la plupart des habitants de chacune des îles séparées de ce petit archipel, quoique voisins les uns des autres. Cet archipel, avec ses innombrables cratères et ses ruisseaux de lave dénudée, paraît être d’origine récente ; et je me figurai presque assister à l’acte même de la création. Je me suis souvent demandé comment ont été produits ces animaux et ces plantes si particuliers ; la réponse la plus simple me paraissait être que les habitants des diverses îles étaient provenus les uns des autres, en subissant dans le cours de leur descendance quelques modifications ; et que tous les habitants de l’archipel devaient provenir naturellement de la terre la plus voisine, de colons fournis par l’Amérique. Mais ce fut pour moi un problème longtemps inexplicable de savoir comment les modifications nécessaires avaient pu s’effectuer ; il le serait encore, si je n’avais étudié les produits domestiques, et acquis ainsi une idée nette de la puissance de la sélection. Ensuite, préparé par de longues études sur les habitudes des animaux, je compris la sélection naturelle comme l’inévitable résultat de la progression si rapidement croissante suivant laquelle tous les êtres organisés tendent à se multiplier, et à encombrer un espace donné. De là, une lutte pour l’existence, lutte d’autant plus acharnée que les concurrents sont plus nombreux, et dans laquelle les organismes les moins privilégiés doivent nécessairement succomber.

J’avais, avant de visiter les îles Galapagos, déjà recueilli beaucoup d’animaux en voyageant du nord au sud de l’Amérique, et dans les conditions de vie les plus différentes possibles, j’avais rencontré partout et toujours des formes américaines ; des espèces remplaçant d’autres espèces appartenant aux mêmes genres spéciaux. Il en fut de même lorsque je gravissais les Cordillères, ou pénétrais dans les épaisses forêts tropicales de l’Amérique, ou étudiais ses eaux douces. Je visitai postérieurement d’autres pays, qui comme conditions de vie ressemblaient plus à certaines parties de l’Amérique du Sud que les diverses parties de ce continent ne se ressemblent entre elles, et cependant dans ces contrées, comme l’Australie ou l’Afrique méridionale, le voyageur est frappé de la différence complète de leurs productions. La réflexion me contraignit à admettre une communauté de