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III. — LES AFGHANS DE L’ÉMIR ET L’ÉMIR

ombrage ; il fut livré par trahison et assassiné. Les partisans, même ralliés, de Yakoub, périrent en masse, ou allèrent en Perse grossir la cour du futur prétendant, le petit Mousa Dijan, le fils de Yakoub, espoir des Ghazis[1]. Un poète populaire, « le poète de Jellalabad », osa lever la voix contre le bourreau des patriotes :

Depuis que le Sardar Abdoul Rahman est installé à Caboul, la foi de l’homme dans l’homme à disparu ; il massacre en masse les Ghazis par trahison.

Le guerrier de Dieu, Mohammed Djan, martyr, a passé de ce monde. L’Émir l’a fait périr, il a été pris par trahison.

La poésie populaire est la presse de l’Afghanistan. On dit que l’Émir, entendant chanter ces vers dans le bazar de Jellalabad, descendit de son éléphant, fit appeler le poète, lui demanda pourquoi il l’accusait de trahison et ne dédaigna pas de se disculper devant lui, je ne sais s’il l’a convaincu : les vers sont restés. C’est en vain que l’Émir a défendu à ses sujets de parler de lui, même en bien, sous peine d’avoir la langue coupée.

Abdoul Rahman, dans la première partie de sa carrière, était un soldat ; depuis qu’il est Émir,

  1. Ghazi, soldat de la guerre sainte.