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I. — LE PONT D’ATTOCK

missant des prières le long de la chaussée du lac, à la suite du grand Sadhou qui brandit comme une croix l’étendard mystique ; et vous comprendrez toute l’épopée du passé, vous sentirez passer sur votre front le souffle des tempêtes d’hier et peut-être de celles de demain.

Le railway enjambe, sur des ponts de deux kilomètres, des rivières à sec qui, dans quatre mois, seront des océans ; celle qui s’appelait la Sarasvati et que le siècle grossier appelle le Soutledj ; le Tchinab, sablonneux comme la mer ; la Ravi cramoisie qui charrie le sable rouge des collines lointaines. Par instant, des deux côtés du railway, une flèche d’argent file en ligne droite, à perte de vue dans la plaine ; ce sont les fameux canaux qui, en quarante ans, ont fait du Penjab le pays le plus riche et le plus malsain de l’Inde et y ont charrié les millions et la fièvre. Les fantômes de l’Himalaya et de Cachemire se dressent au Nord. La nuit tombe ; un orage plane sur Ravul-Pindi, où le Vice-roi des Indes et l’Émir des Afghans ont tenu naguère leur stérile « Camp du drap d’or », et d’où Zakhmé, la chanson afghane, a pris son vol sur l’Indoustan. Un dialogue étrange se poursuit au ciel : de longs éclairs roses illuminent lentement l’horizon, comme un sourire ; des zigzags blancs