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LETTRES SUR L’INDE

tombe, cette humble tombe de pierre, sans sculpture, sans ornement, avec une touffe d’herbe qui la couvre : c’est la pauvre Djehan-Ara qui repose là, sœur et victime d’Aureng-Zeb, et qui murmure sur la pierre :

Oh ! ne mettez qu’un peu de verdure pour couvrir ma tombe. Une touffe d’herbe est tout ce qu’il faut pour couvrir la tombe des humbles.

La pauvre, la passagère Djehan-Ara, fille de l’empereur Chah-Djehan.

Cette tour de brique rouge est le Mémorial de la grande Rébellion, souvenir de la « Guerre inexpiable » ; à cent pas, à vingt siècles de là, se dresse l’indestructible pilier d’Açoka, décalogue de fraternité et d’amour. Une corneille perchée sur le granit bouddhique prend son vol vers la brique anglaise. Veut-elle mesurer, d’un battement d’aile, ce qu’a duré cela et ce que durera ceci ? Ou bien veut-elle redire à la bâtisse chrétienne les mots du vieux roi idolâtre : « Sois bon, épargne ce qui a vie ! » Arrêtez-vous ici, longtemps : la plaine est si belle dans sa désolation sans nom et sous l’écrasement du soleil de midi :

Dans sa flamme implacable, absorbe-toi sans fin
Et retourne à pas lents vers les cités infimes…