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XXVII
PRÉFACE

attend ni où on les attend. Dans le sort de l’Inde, l’Inde même est une quantité négligeable. Sa destinée ne se décidera ni sur l’Indus ni à Khaïber ni dans le champ de bataille fatidique de Panipar, mais à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à Rome, sur les bords de la Baltique et du Rhin. L’histoire de l’Europe contemporaine ne peut plus se scinder. Le drame indien n’est qu’un acte du grand drame européen que l’Europe a laissé ouvrir en 1871.

Si le grand conflit s’ouvre, le puissant Chancelier prendra dans sa main les empires et les jettera en pâture aux alliés qu’il veut acheter. Ce serait sans doute un plaisir de dieu de lancer l’Angleterre libérale contre la France républicaine, de flatter les rancunes de ce petit parti étrange qui se croit toujours au lendemain de Waterloo, et qui envoie chaque jour le général Wolseley braquer sa lunette sur la Manche pour voir si la flotte française arrive : mais le Chancelier sait aussi que la Russie est un allié plus sûr er plus fort que l’Angleterre, qu’elle est un adversaire plus redoutable, et qu’il y a surtout moins de loot à prendre sur elle. L’Angleterre aurait dû ouvrir les yeux le jour où l’Allemagne mit la main sur Angra Pequeña, ce petit trou que les cartes officielles allemandes marquaient encore comme colonie anglaise. C’était la proclamation symbolique du fait que le monde colo-