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LETTRES SUR L’INDE

grand principe du libéralisme européen. Seulement les gens de l’Inde étant un peuple très excitable, le principe souffre en pratique un tempérament et l’on n’entre qu’avec une carte du juge. Pour la circonstance, je représentais le public, avec un baron autrichien qui fait le tour du monde avec un appareil photographique.

Donc Afzal Khan était accusé d’avoir fait assassiner un homme avec qui il avait procès. Les Anglais étaient très montés contre lui et au fond pas fâchés : c’était l’occasion de faire un exemple. Ils pensent, comme Richelieu, que « c’est chose inique que de vouloir donner exemple par la punition des petits, qui sont arbres qui ne portent point d’ombre » : ils aiment assez pendre dans la noblesse : c’est un de leurs faibles. Le fait est qu’un Khan, un nawâb, un râja, un fakir, font beaucoup plus d’effet du haut de la potence que vingt boys ou cent mehtars. Les Afghans étaient beaucoup plus froids. L’un d’eux me dit : « Et quand il aurait fait assassiner Ahmed ! Ahmed avait, devant les témoins et devant le juge anglais, donné « un mauvais nom » à sa fille. Afzal Khan est un misérable, un gueux, un ladre sans foi et sans cœur : mais ici il avait raison ; s’il a assassiné Ahmed, c’est la seule chose honnête qu’il ait faite dans sa vie. »