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LETTRES SUR L’INDE

Se rappelant l’histoire de sa fille, il se dit : « Elle pleure sans doute au souvenir de ses parents, » et il l’envoya passer un mois chez sa mère, dans le pays des Yousoufzais. Au retour, elle pleurait encore. Khouchal Khan soupçonna enfin ce qui en était et refit dans son afghan le monologue d’Othello : « Peut-être, parce que j’ai descendu la vallée des ans, peut-être… » Il s’écria : « Tu pleures, parce que tu es jeune et que je suis vieux, et qu’il te faut un jeune. » Elle ne répondit pas ; mais un éclair qui passa à travers ses larmes montra au vieillard qu’il avait deviné. « Eh bien ! tu l’auras, » s’écria le Khan, et avisant dans le jardin un magnifique nègre d’Abyssinie, en train de balayer les ordures, un mousalli, le dernier des hommes, il l’appela et lui cria : « Voilà ta femme, je te la donne, prends-la ! » Le nègre, effrayé du sacrilège, se jeta aux genoux du Khan en demandant grâce : « Prends-la, cria le prince, ou je te fais trancher la tête. » Et le nègre emmena en tremblant la princesse qui sanglotait.

Quelques jours plus tard, le Khan allait à la chasse pour se distraire. Il trouva sur la route un amas de gerbes de blé : tout en haut, il y avait un homme et une femme qui faisaient voler la paille ; l’homme donnait des coups d’amitié à la femme, et la femme les lui rendait en riant et