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XIII. — LA FIN D’UNE RACE

la façon du poète de Chiraz et du poète de Khodjand[1].

J’ai planté tous les arbres dans mon bosquet et greffé toute réalité sur la métaphore.

Je m’inquiète peu de blâme ou d’éloge : car je ne suis pas tel qu’il soit nécessaire de violenter les gens pour leur faire admirer mes vers.

Celui qui ne peut se faire à louer mes vers, il faut qu’il soit dévoré d’envie ou que ce soit un sot.

Ce n’est nul profit que je cherche en courtisant ainsi la muse : c’est l’amour qui m’a mis ce lien au cou.

Ô mon cœur, en choisissant la voie de la poésie, tu as fait tiennes une souffrance et une joie.

La joie, c’est que tu es le poète du siècle ; la souffrance, c’est que tu as troublé ton âme à force de pensées.

Ô amour, plus grand que l’empereur Aurengzeb ; puisque tu as levé haut parmi tous les hommes la tête de Khouchal Khan.

Ce barbare a d’ailleurs tous les raffinements de la poésie savante :

Pour la flèche il faut un archer et pour la poésie un magicien.

Il faut qu’il tienne toujours dans la main de son esprit la balance du mètre ; sévère pour le vers trop lourd ou trop léger d’un pied.

Il faut que la fiancée Vérité monte sur son noir palefroi, le voile de la métaphore rabaissé sur son front sans tache.

  1. Hafiz et Kamal.