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XVII
PRÉFACE

demande un parlement indien, elle demande l’accès aux hautes fonctions du Civil Service, toutes réformes qui intéressent une petite clique ou une petite élite, comme vous voudrez, et lui livreraient pieds et poings liés les grandes masses muettes. Il y a des réformes plus profondes et d’un intérêt plus général, mais moins attractives, car elles ne promettent à ceux qui les prêchent que la haine des masses, la calomnie, l’insulte, et quelque jour le martyre. Ce sont les réformes sociales ; c’est entre autres l’abolition de ces deux coutumes monstrueuses qui sont la plaie et la honte de l’Inde : les mariages d’enfants et le veuvage éternel des veuves. Le gouvernement anglais a aboli la suttee[1], mais la suttee était une délivrance, comparée au sort de la veuve qui survit. Le malheur de la veuve lui devient crime et honte ; les cheveux rasés, toujours en deuil, condamnée à des jeûnes sans fin, souffre-douleur et jouet de la famille, crainte et évitée de tous — car elle a le mauvais œil,  — incapable de retrouver dans une autre union l’appui qu’elle a perdu, elle n’a de recours que dans le suicide ou la prostitution. Souvent cet enfer commence avec la vie et elle est veuve au berceau : les familles indoues marient leurs enfants à quatre ans, à trois ans, et si l’un des

  1. Voir pages 343-344.