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XIV
LETTRES SUR L’INDE

gagner trente roupies par mois au budget de l’Inde envahit les écoles du gouvernement et les universités. Trois cents candidats pour une place de soixante francs : que pourront faire les deux cent quatre-vingt-dix-neuf candidats malheureux, qui ne savent plus vivre de la vie modeste et sans besoin de leurs pères : mourir de faim, ou grossir les rangs des politiciens. C’est ce qu’ils font. Infatués des connaissances superficielles qu’ils ont prises à l’Université ; gonflés des formules européennes, déjà si vides en Europe quand l’esprit n’est pas là pour les remplir ; nourris de ces fameuses biographies de Clive et de Hastings, où leur maître de style, Macaulay, leur apprend que l’empire anglais a été fondé par le mensonge et la violence, ils forment une classe immense de déclassés, qui ressemble étrangement aux nôtres, aussi bruyants, aussi étroits, aussi nuls, quelques-uns même désintéressés, avec cette différence que les formules dont ils se gonflent sont empruntées à une civilisation et à des traditions exotiques, et qu’il y a pour eux un double abîme entre la lettre et l’esprit.

Cette situation émeut plus d’un esprit parmi les conservateurs qu’elle afflige, parmi les radicaux