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LETTRES SUR L’INDE

et la suffoquent, et le soleil y roule sa lave comme dans le fond d’un cratère. Passé dix heures du matin, vous voici prisonnier entre les murs épais du bengalow, et si vous vous aventurez de sortir, la main du soleil vous frappe au front et au visage, et vous repousse trébuchant en arrière. Le soir, la vie revient ; mais vous vous apercevez alors qu’il manque une chose à Abbottabad : la vue des vagues et l’ouverture du ciel, et que c’est une oppression étrange que d’être prisonnier de la montagne.

La Galli[1] de Tchangla est sans doute plus haute encore et plus âpre, et l’œil de trois côtés se heurte aux noires sapinières surmontées des neiges sublimes et, de pic en pic, monte au lointain jusqu’au pic suprême, le Nanga Parvat[2] ; mais du moins à gauche, l’œil, fuyant la montagne où il se brise, peut se reposer sur l’Indus lointain ; il peut descendre délicieusement sur la pente des collines entassées ; il descend jusqu’au Jehlam ; il coule avec lui dans la plaine infinie du Pendjab, la plaine ardente et infernale qui pourtant, vue d’ici, soulage la poitrine et le regard, comme l’air libre rouvert à l’oiseau en cage, soit que les longues lignes de calcaire

  1. Galli, route prise sur une pente abrupte de montagne.
  2. Flèche de 9, 000 mètres.