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VIII
LETTRES SUR L’INDE

chaos de nations et de religions hostiles, nulle assez forte pour réduire les autres, saignée à blanc par cinq invasions persanes et afghanes, était d’avance la proie désignée du premier Européen qui en voudrait. En pleine splendeur d’Aurengzeb, le médecin Bernier écrivait : « M. de Condé ou M. de Turenne avec vingt mille hommes conquerraient l’Inde ». Soixante ans plus tard, trois mille hommes suffisaient. Dupleix trouva les deux armes de la conquête : intervenir dans les querelles des princes et se créer une armée indigène dressée à l’européenne : autrement dit, conquérir l’Inde par l’Inde. Trahi par la France, Dupleix succomba : l’Angleterre n’eut qu’à appliquer sa politique. Elle lui devrait une statue à l’East India Office[1] !

La méthode trouvée, conquérir l’Inde était aisé : c’était l’affaire de quelques escarmouches ; « les marchands de fromage de Leadenhall-street » y mirent près d’un siècle, poussés de l’avant par les Gouverneurs et forcés par les circonstances. Dupleix, soutenu, eût fait la chose en vingt ans. L’Inde est le pays des conquêtes rapides, qui n’en sont pas moins durables, si la force qui les a faites reste là. Trois batailles ont suffi à Baber pour fonder l’empire mogol qui a duré trois siècles.

  1. Voir l’admirable livre de M. Seeley, The Expansion of England.