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LETTRES SUR L’INDE

tue aussi pour se faire un nom. » Il était beau à voir dans son extase : un petit rire passait sur ses lèvres sèches et pincées, animait sa physionomie sombre, et le bandit étouffé éclatait sous la grimace de civilisation.

Naïm Chah devint si incommode que le gouvernement ne sut plus que faire de lui et offrit 3, 000 roupies de sa rête. C’est un moyen infaillible ; le clepthe, surpris dans son sommeil, fut blessé à mort avant d’avoir pu se mettre en défense. La poésie populaire fut en pleurs : Mohammed Téli, le grand poète de Nauchéhra, chanta sa vie et sa mort. Voici, sur la fin du bandit, une ballade du poète Yasin, qui peut prendre place, il me semble, auprès des plus belles de Fauriel :

Les hommes sont tombés sur lui à l’improviste et l’ont fait prisonnier. Naïm Chah était le faucon des montagnes noires. Il était l’homme au grand cœur.

C’est Dieu qui a tiré sur lui ; car lui était plus fort qu’un nawâb. Il ouvrit ses yeux endormis et cette fois les coups du tigre manquèrent.

Et le tigre parla de cette façon : « Oh ! si la bataille était dans la plaine ! C’est le regret qui me reste au cœur. »

C’est la Mort même qui l’avait amené à Kohi et rien ne pouvait le sauver. La Mort lui dit : « Ne va pas plus loin ! C’est ici, sous cet arbrisseau de vigne. » Et les ennemis sont venus de devant et de derrière.