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VII. — LES AFGHANS DE LA REINE

ser le fleuve : ses officiers lui remontrent le danger ; il persiste, et lance un premier corps, qui est emporté par le courant : en quelques minutes, sept cents cadavres flottaient à vau-l’eau. M. Allard, à cette vue, fait avancer le régiment de cavalerie qu’il avait dressé à la française et entre dans le fleuve : la colonne serrée, cheval contre cheval, fend en ordre et d’une seule masse la rivière paralysée et aborde à l’autre rive au complet. Les Yousoufzais, frappés de terreur, s’enfuient sans essayer de résistance, poursuivis par les Sikhs qui massacrèrent toute une semaine. Ce passage de l’Indus resta dans l’imagination populaire comme un des prodiges de Rundjet Singh. On en fit des ballades et l’on conta que Rundjet était un saint, un Bouzourg[1], qu’il avait dit à « la Grande rivière », l’Aba-Sind : « Arrête-toi ! » et la rivière s’était arrêtée. C’est en effet un des traits les plus intéressants du fanatisme dans l’Inde de n’être pas exclusif : la force est la force, où qu’elle se révèle, et il y a dans toutes les religions des Bouzourgs qui font de grandes œuvres. L’Hindou va prier à la Ziârat du saint musulman et lui adresser ses vœux. Kabir était-il hindou ou musulman ? Nul

  1. Bouzourg, « un Puissant », c’est-à-dire un saint doué du don de miracle.