Page:Darmesteter - Lettres sur l’Inde, à la frontière afghane.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LETTRES SUR L’INDE

plus « l’enfant des Russes, » il est quelque chose de pis, l’enfant des Anglais. Il a contre lui le sentiment d’indépendance des tribus qu’il a voulu asservir à une règle et mettre sous la coupe d’une bureaucratie. Il a enfin et surtout contre lui le fait qu’il règne sans conteste depuis six ans et que c’est bien assez pour un émir afghan.

La situation de l’Angleterre devant ces troubles est difficile : la chute d’Abdoul Rahman serait un désastre pour elle, car elle laisserait le champ libre soit à une créature des Russes, soit à l’anarchie qui, elle aussi, sera russe. Qui sera là pour remettre en bon chemin des compagnies de Cosaques qui seraient tentées de s’égarer sur la route de Hérat ? Il est de l’intérêt de l’Angleterre que l’Afghanistan, puisqu’elle ne peut l’occuper, — toute occupation serait un suicide — soit aux mains d’un chef fort, peu disposé à se laisser absorber par la Russie : Abdoul Rahman remplissait cette condition. Mais ici l’intérêt de l’Émir et l’intérêt du peuple lui-même ne sont pas identiques : la Russie peut bien offrir le trône à un candidat, mais au candidat une fois installé elle ne peut offrir que son protectorat, c’est-à-dire l’asservissement ; au peuple afghan, au contraire, elle peut offrir en perspective, prochaine ou lointaine, le pillage traditionnel de l’Inde. L’Angleterre, voulût-elle entrer en con-