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III. — LES AFGHANS DE L’ÉMIR ET L’ÉMIR

te donnera à manger que quand tu verras les Russes arriver. » Il refait ou veut refaire à son profit la légende de Rollon : si vous perdez un objet sur la route, défense au passant de le ramasser, même pour vous le rapporter, sous peine d’avoir la main coupée ; il n’avait que faire d’y porter la main, c’est à vous à venir reprendre votre bien où vous l’avez laissé. Les caravanes qui viennent de l’Inde par la passe de Khaiber, protégées par l’escorte anglaise jusqu’aux états du Nawab indépendant de Lalpur, et reçues là par une escorte du Nawab, sont abandonnées à elles-mêmes dès qu’elles entrent dans le territoire de l’Émir : elles n’ont plus rien à redouter. Elles n’ont plus, hélas ! à redouter que l’Émir.

En avril 1886, je faisais la connaissance du gafila bachi de Péchawer : le gafila bachi est l’organisateur responsable de la caravane, procure les chameaux, reçoit les marchandises et en donne reçu, pour être remises à qui de droit par le gafila bachi de Caboul ; il touche un tant pour cent des droits de caravane. Mon gafila bachi était un grand jeune homme, admirablement beau, à la figure franche et douce et qui avait l’air fort satisfait de la vie et du monde. Quelques mois plus tard, m’enquérant de lui auprès d’un ami commun, j’appris que le pauvre Khair Mohammed était en prison avec son père, le gafila bachi de