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la civilisation, dans le triple champ de la science, de l’art et de l’action.

Est-ce à dire que le Judaïsme ait à nourrir des rêves d’ambition, et doive songer à réaliser un jour cette « Église invisible de l’avenir » que quelques-uns appellent de leurs vœux ? Ce serait une illusion de sectaire ou d’illuminé. Ce qui est vrai seulement, c’est que l’esprit juif peut agir encore dans le monde pour la science suprême et le progrès sans fin, et que le rôle de la Bible n’est pas achevé. La Bible n’est pas responsable du demi-avortement du Christianisme, dû aux compromis de ses organisateurs, trop pressés de vaincre et de convertir le paganisme en se convertissant à lui : mais tout ce qui dans le Christianisme vient en droite ligne du Judaïsme vit et vivra, et c’est le Judaïsme qui par lui a jeté dans le vieux monde polythéiste, pour y fermenter jusqu’au bout des siècles, le sentiment de la grande unité et une inquiétude de charité et de justice. Le règne de la Bible, et des Évangiles en tant qu’ils s’inspirent d’elles, ne pourra que s’affermir à mesure que les religions positives qui s’y rattachent perdront de leur empire. Les grandes religions survivent à leurs autels et à leurs prêtres : l’hellénisme aboli a moins d’incrédules aujourd’hui qu’aux jours de Socrate et d’Anaxagore ; les dieux d’Homère se mouraient quand Phidias les taillait dans le Paros : c’est à présent qu’ils trônent vraiment dans l’immortalité, dans la pensée et le cœur de l’Europe. La croix a beau tomber en poussière : il est quelques paroles, prononcées à son ombre en Galilée, dont l’écho vibrera à toute éternité dans la conscience humaine. Et quand le peuple qui a fait la Bible s’évanouirait, race et culte, sans laisser de trace visible de son passage sur la terre, son empreinte serait au plus profond du cœur des générations qui n’en sauront rien, peut--