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les pays où elle pénètre, et en France, avant tout, une ère nouvelle, dans un double sens, matériel et moral.

D’une part, en brisant la barrière de séparation entre le Juif et le Chrétien, elle met un terme à l’histoire du peuple juif. A partir du 28 septembre 1791, il n’y a plus place à une histoire des Juifs en France ; il n’y a plus qu’une histoire du Judaïsme français, comme il y a une histoire du Calvinisme, ou du Luthérianisme français, rien d’autre et rien de plus. La rapidité merveilleuse avec laquelle le Juif est devenu un membre de la grande patrie française, non seulement de droit et de nom, mais de fait, tient d’ailleurs à des causes plus anciennes et peut-être plus profondes encore que l’enthousiasme soudain de la justice chez les uns et de la reconnaissance chez les autres. La France, pour le Juif, n’est pas une patrie improvisée dans la fièvre d’une heure généreuse, c’est une patrie retrouvée. Là, en effet, la barrière élevée entre Juifs et chrétiens fut artificielle, factice et tardive : la haine du peuple ne fut pas une vieille tradition populaire, et les premiers siècles de notre histoire nous montrent les hommes des deux confessions vivant ensemble sur un pied d’égalité et dans des sentiments de mutuelle tolérance et de mutuelle estime qui révoltent les évêques du temps et contre lesquels ils se sentent longtemps impuissants[1]. C’est le triomphe de la féodalité qui, en ne laissant debout d’autorité respectée que celle de l’Église, livre les Juifs à une haine raisonnée et intéressée, qui, du haut de la chaire, s’infiltre lentement dans les masses : ainsi naissent et fermentent, dans le peuple ignorant et souffrant du moyen âge, des sentiments obscurs de répulsion et de haine, qui se sentent sanctifiés par la religion, et sur les-

  1. Agobard.