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Le moyen âge, emprisonné dans le dogme, ne pouvant avoir d’originalité que dans l’art et la politique, reçoit d’Orient sa science et sa philosophie, et c’est au Ghetto qu’il les cherche. Toute la philosophie arabe et une partie d’Aristote pénètrent dans la Scolastique par des traductions latines, faites par des Juifs, d’après des traductions hébraïques faites elles-mêmes sur l’original ou sur la traduction arabe.

La science, comme la philosophie, vient de là; Roger Bacon étudie sous les rabbins; la médecine est entre leurs mains; Richard d’Angleterre chasse les Juifs et, malade, appelle Maïmonide. Enfin toute une branche de la littérature sort du Ghetto : celle du conte et de la nouvelle : c’est de la main des traducteurs juifs que la France reçoit ces vieilles fables indiennes, nées au temps de Bouddha sur les bords du Gange, et qui vont avoir une si merveilleuse fortune aux bords de la Seine et de là dans toute l’Europe.

Par dessous ces actions visibles, une action sourde et invisible, inconsciente chez ceux qui l’exercent et ceux qui la subissent, et qui justifie après coup les haines de l’Église : c’est la polémique religieuse, qui ronge obscurément le Christianisme. La politique de l’Église à l’égard de Juifs eut toujours quelque chose d’incertain et de trouble qu’elle n’eut point devant les autres religions et devant les hérétiques. La haine du peuple contre les Juifs est l’œuvre de l’Église[1], et c’est pourtant elle seule qui le protège contre les fureurs qu’elle a déchaînées. C’est qu’elle a à la fois besoin du Juif et peur de lui : besoin de lui, parce que c’est sur son livre que le Christianisme est édifié; peur de lui, parce qu’étant le seul vraiment qui ait

  1. Voir plus bas, page 273.