volonté suprême, au lieu d’en faire la raison suprême, ce qui l’amènera bientôt à sacrifier gratuitement la science et la pensée, sans l’excuse de dogme du Christianisme. Pendant un siècle ou deux, l’élément de raison qui est dans le Coran triomphe et amène l’éclosion d’une civilisation brillante qui fait que l’esprit humain dans le moyen âge ne subit pas une éclipse absolue. Les Juifs prennent part à ce mouvement à double titre, et par leur action personnelle, et en le faisant pénétrer parmi les Chrétiens. Éteint chez les Arabes, il amène en Europe la première Renaissance, celle de la fin de la Scolastique, qui préparera l’autre.
Littérature, philosophie, science se rajeunissent ou naissent. La littérature s’enrichit d’une veine nouvelle par la création de la poésie néo-hébraïque qui emprunte ses moules à la poésie arabe, et qui en Espagne arrive à l’originalité. Les derniers Gaons des écoles d’où est jadis sorti le Talmud fondent la théologie rationnelle, et chassent le surnaturel de la religion, qui n’est plus que l’expression abrégée des vérités démontrables et reconnaît la raison pour le critérium suprême, tandis que la Cabale ouvre au rêve ses grandes et belles avenues mystiques où errera souvent dans sa jeunesse la pensée de Spinoza. A la cour d’Almamoun, les Juifs, unis aux Nestoriens exilés, jettent dans le courant de la pensée arabe les débris de la philosophie grecque, qui de là reviendront en Europe. Enfin, sous la main de Juifs parlant arabe, la grammaire comparée naît dans le monde sémitique, huit siècles avant Bopp.
Seuls intermédiaires entre les Arabes et les Chrétiens, parce que seuls ils parlent la langue des uns et des autres, et parce que le commerce ou la persécution les porte ou les jette sans cesse de pays en pays, ils sont trois siècles durant les rouliers de la pensée entre l’Orient et l’Occident.