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parti étranger. Cette lutte, à laquelle se rattachent les grands noms de l’ancien prophétisme[1], se termine par la victoire du dieu hébreu, vers la chute de la royauté : le dieu national triomphe au moment où la nation qu’il devait faire périt. Mais au même instant et du même coup, aux approches de la catastrophe, ce dieu lui-même subit une altération profonde. Ce n’est plus un dieu national à la façon des autres, conçu et adoré comme pourrait l’être Camosch ou Milcom : si ce n’est qu’un dieu national, un Camosch d’Israel, un Milcom de Juda, Israel a été trahi, et le roi de Babel, en poussant ses chars de guerre contre Jérusalem, pourra s’écrier lui aussi, mais sans craindre de retour comme autrefois l’Assyrien : « Ne te laisse pas abuser aux promesses de ton Dieu ! Où sont les rois d’Arpad, de Hamath, de Separvaïm ? Quel est le peuple que son Dieu a jamais sauvé de mes mains ? » Le dieu d’Israel, grandi par la défaite de son peuple, en devient le dieu universel, le dieu unique, le dieu d’Isaïe et des prophètes, le dieu du Décalogue, Jehovah, celui qui est. C’est toujours bien le dieu d’Israel, puisqu’il s’est révélé à Israel seul, qu’Israel seul a su le deviner ; mais c’est le dieu sans second. Ce n’est plus le dieu jaloux du premier mosaïsme et des Élohistes, qui a faim de victimes et d’offrandes et punit les fautes des pères jusqu’à la quatrième génération : c’est le dieu de justice et d’amour, qui veut des cœurs purs et non des mains pleines, qui a horreur des sacrifices et de la grimace du culte[2] et qui ne veut plus qu’on dise : « Les pères ont mangé les raisins aigres et les fils en ont eu les dents agacées[3]. » Et puisque le peuple qui l’a

  1. Les prophètes dont il ne reste que le nom.
  2. Isaïe, I.
  3. Ezéchiel, XVIII ; Jérémie, XXXI.