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matière du monde ou le démiurge du monde. Dès la période de l’unité aryenne, il était déjà sans doute tour à tour l’un et l’autre ; mais il est probable que la conception théiste était plus nettement dessinée que l’autre, car elle l’est également dans les mythologies dérivées : elle avait d’ailleurs des racines plus profondes et plus intimes au cœur de la nature humaine qui, dans tout mouvement, tout phénomène, voit une cause vivante, une personne.

Ce dieu du ciel, ayant organisé le monde, était toute sagesse. C’est un habile artisan qui a réglé le mouvement du monde. Sa sagesse est infinie, car tous ces mystères que l’homme sonde en vain, il en a la clef, il en est l’auteur. Mais ce n’est point seulement comme auteur du monde qu’il est omniscient : il sait tout, non-seulement parce qu’il a tout fait, mais aussi parce qu’il voit tout, étant lumière. Dans la psychologie naturaliste des Aryens, voir et savoir, lumière et science, œil et pensée, sont termes synonymes. Chez les Indiens, Varuna est omniscient parce qu’en lui est la lumière infinie, parce qu’il a le soleil pour œil, parce que, du haut de son palais aux rouges colonnes d’airain, ses blancs regards dominent les mondes, parce que sous le manteau d’or qui l’abrite, dieu aux mille regards, des milliers d’espions, rayons du soleil pendant le jour, étoiles pendant la nuit, fouillent pour lui, actifs et infatigables, tout ce qui est d’un monde à l’autre, de leurs yeux qui jamais ne dorment, jamais ne clignent. Et de même, si Zeus est celui qui voit toutes choses, le πανόπτης, c’est qu’il a pour œil le soleil, ce témoin universel, l’infaillible espion et des dieux et des hommes (θεῶν σκοπὸν ἠδὲ καὶ ἀνδρῶν)[1].

  1. Cf. Iliade, III, 278 ; Odyssée, XI, 108 ; Pindare, fragm. 84 ; Ovide, Metam., IV, 172, etc.