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LE VOLEUR

— Mon Dieu ! dit l’industriel dont les yeux s’allument, quand un placement est bon… Il ne s’agit pas ici des Bitumes du Maroc ou du percement du Caucase, savez-vous. C’est une affaire sérieuse, que vous pouvez étudier vous-même…

— Certainement. Mais…

— Auriez-vous quelques objections à présenter, pour une fois ?

Moi ? Pas du tout. Mais Issacar en a pour moi.

— Oui, dit-il, M. Randal a certaines raisons qui le font hésiter, jusqu’à un certain point, à placer ses capitaux dans une entreprise comme la vôtre. Il me les a exposées et je vais vous les traduire brièvement. D’abord, il redoute l’accroissement des frais généraux. Les ouvriers réclament constamment des augmentations de salaires…

— Ils les réclament ! ricane l’industriel. Oui, ils les réclament ; mais ils ne les ont jamais. Et quand même ils les obtiendraient, croyez-vous qu’ils en seraient plus heureux et nous plus pauvres ? Quelle plaisanterie ! Ce que nous leur donnerions de la main droite, nous le leur reprendrions de la main gauche. Il est impossible qu’il en soit autrement. La science nous l’apprend. La science, Monsieur ! La main-d’œuvre est pour rien ici ; savez-vous pourquoi ? Parce que la Belgique est un pays riche, pour une fois. Plus un pays est riche, plus le travailleur est pauvre. La France, au XVe siècle, était bien loin d’avoir la fortune qu’elle possède aujourd’hui, n’est-ce pas ? Eh ! bien, à cette époque, l’ouvrier et le paysan français gagnaient beaucoup plus qu’ils ne gagnent à présent. Loi économique, Monsieur, loi économique !

— La science est une admirable chose, dit Issacar. Mais M. Randal, qui a pour elle tout le respect nécessaire, n’ignore pas combien elle exige de ménagements dans ses diverses applications. Et il a entendu dire que deux accidents terribles s’étaient produits chez vous l’année dernière…

L’honnête industriel sourit.