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LE VOLEUR

donner des signes d’impatience ; il s’agite nerveusement sur la banquette et déplie son journal avec rage. Tant pis pour lui ! Il n’a qu’à s’en aller, s’il n’est pas content. Ah ! que je voudrais pouvoir en faire autant !… Au bout d’une demi-heure, je prends le parti d’interrompre l’honnête industriel.

— Monsieur, lui dis-je, le tableau que vous venez de m’exposer est tracé de main de maître, et je dois avouer que vous m’avez presque convaincu. Le moindre des produits chimiques prend dans votre bouche une valeur toute particulière, et je crois que les résultats que vous avez atteints jusqu’ici ne sont rien en comparaison de ceux que vous pouvez espérer. Je me permettrai cependant de faire mes réserves sur la potasse. Il me semble que vous ne rendez pas suffisamment justice à la potasse.

— Moi ? fait l’honnête industriel interloqué ; mais je n’en ai pas encore parlé !

— Justement. Votre silence est plein de sous-entendus hostiles. N’oubliez pas, Monsieur, que je suis ingénieur ; rien n’échappe à un ingénieur.

— Je le vois bien, murmure l’honnête industriel, très confus.

— Quoi qu’il en soit, dit Issacar qui s’aperçoit sans doute que je m’engage sur un mauvais terrain, quoi qu’il en soit, je puis vous assurer, Monsieur, que vos paroles ont fait la plus grande impression sur M. Randal. Je connais M. Randal. Il est peu expansif, comme tous les hommes modestes bien que pénétrés du sentiment de leur valeur ; mais j’ai remarqué l’intérêt soutenu avec lequel il vous a écouté. C’est un grand point, croyez-le ; et je ne serais pas étonné si, après une ou deux visites à votre usine, il mettait à votre disposition, non pas deux cent mille francs, mais trois cent mille.

— Oh ! oh ! dis-je, un peu au hasard — car je ne comprends pas du tout la signification des coups de pied qu’Issacar me lance sous la table — oh ! oh ! c’est aller bien vite…