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LE VOLEUR

— Je regrette de ne le pouvoir, dis-je ; mais je ne veux pas me mêler d’affaires. Pourtant, je suis très heureux de vous être utile, car vous m’avez rendu service.

— En m’occupant de la négociation des titres et des bijoux dont vous avez soulagé cette bonne vieille dame ? C’était si naturel ! Je regrette seulement de n’en avoir pu tirer que cent trente mille francs. Mais vous verrez vous-même, avant peu, combien nous sommes exploités.

— Je n’en serai pas surpris. Voulez-vous que je vous donne un chèque ce soir ?

— Non, répond Issacar ; vous m’enverrez ces vingt mille francs de Londres, après-demain matin, en bank-notes anglaises.

— Après-demain matin ! Mais je ne serai pas à Londres…

— Si. Vous y serez demain soir à six heures. C’est moi qui vous le dis. À présent, en route, chantonne Issacar en prenant son chapeau. Le café où nous devons voir mon homme est à deux pas d’ici.


Tout à côté, en effet ; en face de la Bourse. C’est l’heure de l’apéritif et l’établissement regorge de clients attablés devant des boissons rouges, et jaunes, et vertes. Des hommes aux figures désabusées de contrefacteurs impénitents, qui trichent aux cartes ou se racontent des mensonges ; des femmes d’une grande fadeur, joufflues et comme gonflées de fluxions malsaines, avec des bouches quémandeuses et des paupières lourdes s’ouvrant péniblement sur des yeux de celluloïd qui meurent d’envie de loucher.

Après un moment d’hésitation, nous nous dirigeons vers une table qu’encombre un jeune homme blond ; c’est la seule qui soit aussi faiblement occupée. Le jeune homme blond, plongé dans la lecture d’un journal, nous autorise à l’investir ; aussitôt, je me poste sur son flanc gauche et Issacar lui fait face avec intrépidité.

— Pour qui la chaise qui reste libre ? Pour qui ?