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LE VOLEUR

voudrais pouvoir te dire : oui ; je le voudrais de tout mon cœur ; mais c’est plus fort que moi, je ne peux pas. Il me semble que je mourrais de peur et de honte… et je ne veux pas que toi… Oh ! mon ami, mon ami ! ne me repousse pas ainsi…

— Si ! dis-je, je te repousserai — et j’écarte sa main glacée qu’elle a posée sur mon front brûlant, car sa douleur me pénètre et m’exaspère et je sens fondre, devant ce désespoir de femme, l’âpre résolution qui, depuis si longtemps, s’ancra en moi. — Si ! je te repousserai si tu es assez faible pour ne point agir ce que tu penses, car tu sais bien que j’ai raison. Je serai ce que je veux être ! Et je resterai seul si tu n’es pas assez forte pour me suivre.

Charlotte devient pâle, pâle comme une morte ; et ses yeux seuls, éclatants de fièvre, paraissent vivants dans sa figure.

— Je ne peux pas, dit-elle tout bas ; et d’autres paroles, qu’elle voudrait prononcer, expirent sur ses lèvres blêmes.

— Eh ! bien, va-t-en, alors ! crié-je d’une voix qui ne me semble pas être la mienne. Va retrouver ton père, fille de voleur ! il m’a volé mon argent et toi tu veux me voler ma volonté ! Va-t-en ! Va-t-en !…

Alors, Charlotte s’en va, toute droite. Et pendant longtemps, cloué à la même place et comme pétrifié, je crois entendre le bruit de ses pas qui s’est éteint dans l’escalier.

Ce que je ressens, c’est pour moi. Je voudrais bien qu’il y eût là quelqu’un pour me tuer, tout de même ; mais on ne meurt pas comme ça. Il faut vivre. Eh ! bien, en avant……


Le lendemain matin, à la gare du Nord, au moment où je vais prendre le train pour Bruxelles, quelqu’un me frappe sur l’épaule. Je me retourne. C’est l’abbé Lamargelle.

— Vous partez en voyage, cher monsieur ?