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LE VOLEUR

Elle se lève et vient près de moi.

— Dis-moi que tu voudras bien. Je sais aussi, moi, que c’est ignoble, toutes ces choses ; toute cette société immonde basée sur la spoliation et la misère ; je sais que les gens qui soutiennent ce système affreux sont des êtres vils ; mais il ne faut pas agir comme eux…

— C’est le seul moyen de les jeter à bas, dis-je. Lorsque les voleurs se seront multipliés à tel point que la gueule de la prison ne pourra plus se fermer, les gens qui ne sont ni législateurs ni criminels finiront bien par s’apercevoir qu’on pourchasse et qu’on incarcère ceux qui volent avec une fausse clef parce qu’ils font les choses mêmes pour lesquelles on craint, on obéit et on respecte ceux qui volent avec un décret. Ils comprendront que ces deux espèces de voleurs n’existent que l’une par l’autre ; et, quand ils se seront débarrassés des bandits qui légifèrent, les bandits qui coupent les bourses auront aussi disparu. Tu sais ce que je pense, maintenant ; tu sais ce que j’ai fait et ce que je veux faire — tu entends ? ce que je veux faire !

— Oh ! c’est affreux, dit Charlotte en sanglotant. Je ne sais pas si tu as tort… mais je ne peux pas, je ne peux pas… Écoute-moi, je t’en supplie… au moins pendant quelque temps… Tu te calmeras. Tu es tellement énervé ! Tu verras que c’est trop horrible… Je n’ai pas même le courage d’y penser ; et je n’aurais pas la force… Oh ! si tu savais ce que je souffre ! Je t’aime, je t’aime de toute mon âme à présent ; et je t’aimerai… oh ! je ne peux pas dire comme je t’aimerai…

Je la prends dans mes bras.

— Eh ! bien, si tu m’aimes, Charlotte, ne me demande point des choses impossibles. Il faut que j’agisse comme je te l’ai dit, je suis poussé par une force que rien au monde ne pourra vaincre, même ton amour. Mais tu seras heureuse, je te jure…

— Non, murmure-t-elle en détournant la tête ; je