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LE VOLEUR

Si vous ne voulez pas, je ne sais pas ce qui arrivera ; mais je prévois des choses terribles, des malheurs sans nom pour elle, pour moi — et pour vous aussi. » Je me suis arrêté, la voix coupée par la colère. « Je n’ai qu’un mot à te répondre. C’est : Non. Je n’ai pas plus d’aversion pour toi que pour un autre, malgré ce que tu viens de dire et de faire. Tu m’es indifférent — comme tous les gens qui ne peuvent me servir à rien. — Seulement, en admettant que ma fille ne me donne pas lieu de la renier purement et simplement, je ne puis pas la marier sans dot ; cela ruinerait mon crédit ; et, la mariant avec une dot, je ne puis la donner qu’à un homme possédant une fortune en rapport. Tel n’est point ton cas, malheureusement pour toi. Il y a des conventions sociales que rien au monde ne m’obligera à transgresser ; elles sont la base de l’Ordre universel, quoi que tu en puisses dire… Tu viens de te comporter en sauvage ; moi, je te parle en civilisé, a-t-il continué en glissant sa main dans un tiroir qu’il avait ouvert sournoisement et où je sais qu’il cache un revolver. La loi m’autorise à agir contre ma fille et toi. Je n’userai pas du droit qu’elle me confère. Tu as séduit Charlotte ; tu peux la garder. Vivez en concubinage, si vous voulez ; vous serez à plaindre avant peu, sans aucun doute. Mais c’est moi qu’on plaindra. » Je suis sorti brusquement, sans dire un mot, car je voyais rouge.


C’était avant-hier, cela ; et il me semble que c’est la même fureur qui me secouait alors qui vient de m’envahir tout d’un coup, lorsque Charlotte est entrée.

— Eh ! bien, que t’a dit mon père ? me demanda-t-elle, anxieuse.

— Il a dû te l’apprendre lui-même, je pense.

— Non. Voilà trois jours que je ne l’ai vu ; il sort de bonne heure et rentre tard ; on dirait qu’il m’évite. Tu lui as dit ?…

— Tout. Et il refuse. Je n’ai pas besoin de te donner ses raisons, n’est-ce pas ?