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LE VOLEUR

faiteurs ? On n’a pas une indication qui puisse mettre sur leurs traces ?

— Pas la moindre. On a vu pourtant, assure-t-on, deux hommes passer en courant dans la rue, vers les cinq heures du matin, avec des paquets sous le bras. Des balayeurs ont donné le signalement de l’un d’eux ; c’était un homme brun, avec un pardessus vert et une casquette noire.

— Et l’on n’a pas retrouvé cet homme brun ?

— Pas encore ; la police le recherche.

— Mais il n’y avait donc personne, cette nuit-là, chez Mme Montareuil ?

— Si ; Marguerite, la femme de chambre. Mais elle couche à l’étage supérieur et assure s’être endormie de bonne heure ; comme elle a le sommeil lourd, elle n’a rien entendu. On l’a mise à la porte sans certificat, tu penses bien.

— Quel est le montant du vol, à peu près ?

— Quatre cent mille francs, à en croire Mme Montareuil ; mettons-en, si tu veux, trois cent mille ; le quart de ce qu’elle possédait, à mon avis. Si le vieux Montareuil avait encore été de ce monde, ce coup l’aurait tué, j’en suis sûr. Il tenait tant à son argent !…

— Un homme d’affaires, naturellement ; et encore, je crois, plutôt usurier qu’homme d’affaires, si la différence existe…

— Usurier ! Le mot est bien gros. Il n’a jamais eu maille à partir avec la justice, que je sache ; alors… et puis, c’était un philanthrope, un des fondateurs de la Digestion Économique ; Mme Montareuil aussi a toujours été très charitable, ajoute mon oncle qui ne se souvient plus de ce que je lui ai entendu dire bien des fois, dans ses moments de cynisme : que la charité est la conséquence de l’usure et son arc-boutant naturel.

— Cette pauvre dame semblait bien désolée ; je l’ai rencontrée en arrivant…

— Oui, nous venions d’avoir un entretien qui n’avait guère dû lui mettre du baume dans le cœur.