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LE VOLEUR

cessaire et lancer à nouveau ses fonds dans la mêlée des capitaux. Hélas ! combien de fois les résultats répondent-ils aux efforts ? Combien de fois, plutôt, la gueule toujours béante de la spéculation…

J’écoute. Je suis venu pour écouter — sachant que j’entendrais ce que j’entends — mais aussi pour répondre. Je n’ai point oublié ce que je me suis promis à moi-même autrefois ; je me rappelle les rages muettes et les fureurs désespérées de ma jeunesse. J’aime l’argent, encore ; je l’aime bien plus, même, que je ne l’aimais alors ; je l’aime plus que ne l’aime mon oncle ! Chaque parole qu’il prononce, c’est un coup de lancette dans mes veines. C’est mon sang qui coule, avec ses phrases ! Oh ! je voudrais qu’il eût fini — car je me souviens du temps où je souhaitais l’aube du jour où je pourrais le prendre à la gorge et lui crier : « Menteur ! Voleur ! » C’est aujourd’hui, ce jour-là. Et je pourrais, et je peux maintenant, si je veux…

Eh ! bien, je ne veux pas !

— À quoi penses-tu, Georges ? crie mon oncle d’une voix furieuse. Tu ne m’écoutes pas. Fais au moins signe que tu m’entends.

Et il continue à décrire les opérations dans lesquelles il a engagé ma fortune, à en expliquer les fluctuations. Mais sa voix n’est plus la même ; elle tremble. Pas de peur, non, mais d’énervement. Il s’était attendu à des récriminations, à des injures, à plus peut-être, et il était prêt à leur faire tête ; mais il n’avait pas prévu mon silence, et mon calme l’exaspère. Son système d’interprétation des faits n’est plus le même que tout à l’heure, non plus ; il ne se donne plus la peine de déguiser ses intentions, ne prend plus souci de farder ses actes. Il ne dit plus : « Mets-toi à ma place, je t’en prie ; aurais-tu agi autrement ?… Ç’a été un coup terrible pour moi que ce désastre de la Banque Européenne… J’ai pensé que lorsque tu aurais l’âge de comprendre les choses, tu te rendrais compte… » Il dit : « Tel a été