Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
LE VOLEUR

reproduit que très difficilement d’une façon directe ; que l’or, étant l’émanation tangible des efforts universels, doit être aussi un stimulant vers de nouvelles manifestations d’énergie, et que l’homme qui le détient, au lieu de l’accumuler stupidement, doit le considérer comme un serviteur adroit et un messager fidèle, et le diriger habilement. Cet avare-là n’est pas un ladre ; c’est une bête de proie. Il reste un monstre ; mais il cesse d’être grotesque pour devenir terrible.

Il y a quelque chose d’effrayant chez mon oncle ; c’est l’absence complète de tout autre besoin que l’appétit d’autorité. Tous les autres sentiments n’ont pas été, en lui, relégués à l’arrière-plan ; ils ont été extirpés, radicalement ; et ce sont leurs parodies, jugées utiles, qui sont venues reprendre la place qu’ils occupaient. Cet âpre désir de domination, qui est l’effet bien plus que la cause de son avarice, le libère même des griffes des deux passions qui ont donné naissance à sa cupidité : l’orgueil, qui le conduirait au mépris ou à l’évaluation inexacte des forces des autres ; et la luxure, qui l’écarterait sans cesse de son but par la fascination de la chair. J’ai rarement entendu, dans ma vie, un homme juger avec autant de bon sens et d’impartialité les êtres et les choses ; et quant au libertinage… Un exemple : sa femme, morte il y a plusieurs années, était coquette, exigeante, dépensière ; fort jolie surtout. Mon oncle, le lendemain du mariage, prit une maîtresse qu’il payait tant par mois — afin de pouvoir toujours, aux moments psychologiques, rester sourd aux sollicitations pécuniaires qui se murmurent sur l’oreiller. — Donner beaucoup d’argent eût été dur pour lui ; mais peut-être l’aurait-il fait ; se laisser maîtriser par l’amour, même physique, il ne le voulut jamais.

C’est ce prurit d’autorité, sans doute, qui met sur le visage de mon oncle, parfois, un voile de tristesse infinie et de découragement profond. Il devine que, son appétit de domination, il ne pourra jamais l’as-