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LE VOLEUR

reçu de l’eau, quand il avait plu, et de la poussière quand les larbins secouaient les tapis. Je suis rentré souvent « lorsque l’aube naît. » Mais jamais pensif. Plutôt un peu émêché… Peut-être que la définition n’est pas bonne, après tout.

— C’est la meilleure ! dit un psychologue.

Alors je ne suis pas amoureux.


Mais je suis étonné, très étonné, même, lorsque mon oncle me prend à part, un soir, et me dit à demi-voix :

— Viens après-demain matin, à dix heures. Je veux te rendre mes comptes de tutelle. Sois exact.

Diable ! Il paraît que c’est pressé. Mon oncle tient sans doute à savoir, avant de conclure définitivement le mariage de sa fille, si j’accepterai ou non un règlement dérisoire. Ça doit être ça. C’est moi qui dois payer la dot ; et si je me rebiffe, rien de fait… Mais comment n’accepterais-je pas ? À qui me plaindre ? J’ai bien un subrogé-tuteur, quelque part ; un naïf, choisi exprès, qui aura tout approuvé sans rien voir… À quoi bon ? Tout doit être en règle, correct, légal…

Mon oncle, c’est un homme d’ordre ; une brute trafiquante à l’égoïsme civilisé. En proie à des instincts terribles, qu’aucune règle morale ne pourrait réfréner, mais qu’il parvient à réglementer par une soumission absolue à la Loi écrite. Ses dominantes : l’Orgueil et la Luxure, dont la somme, toujours, est l’Avarice. À force d’énergie, il arrive à maintenir fermement, au point de vue social, ou plutôt légal, les écarts d’un cerveau très mal équilibré naturellement. Comme il n’a point assez de confiance en lui pour se juger et se diriger lui-même, il est partisan acharné du principe d’autorité qui lui assure la garantie des hiérarchies, même usurpées, et la distribution de la justice dans un sens toujours identique ; — qui, en un mot, lui donne un moi social qui recouvre à peu près son moi naturel. — Mais malgré tout, au fond, ses instincts en font un implacable ; son ironie