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LE VOLEUR

que, devait entraîner la métamorphose d’un système de morale qui n’était plus en concordance avec le monde nouveau ; il est regrettable que cette nécessité n’ait été comprise que de quelques esprits d’élite que les bûchers ont fait disparaître. Il en résulte que notre vie morale actuelle, si elle est incorrecte devant le critérium conservé, prend les allures d’une protestation contre quelque chose qui n’existe point ; et qu’elle manque de signification, si elle est correcte. C’est très malheureux… Le vieux précepte : « Tu ne voleras pas » est excellent ; mais il exige aujourd’hui un corollaire : « Tu ne te laisseras pas voler. » Et dans quelle mesure faut-il ne pas voler, afin de ne point se laisser voler ? Croyez-vous que ce soient les Codes qui indiquent la dose ? Certes, il y a de nombreuses fissures dans les Tables de la Loi ; et la jurisprudence est bien obligée de les élargir tous les jours ; je pense pourtant que ce n’est point suffisant. Je ne vous parlerai pas de la façon dont les foules, en général, interprètent les principes surannés qui ont la prétention ridicule de diriger la conscience humaine ; mais avez-vous remarqué comme les magistrats, les juges, lorsqu’ils y sont forcés, exposent pauvrement la morale ? J’ai voulu m’en donner une idée, et j’ai visité les prétoires. Monsieur, c’est absolument piteux. Mais comment voulez-vous qu’il en soit autrement ?… Les conséquences d’un pareil état de choses sont pénibles ; il produit forcément la division de l’Humanité en deux fractions à peu près égales : les bourreaux et les victimes. Il faut dire qu’il y a des gradations. Si vous êtes bourreau, vous pouvez être usurier comme vous pouvez être philanthrope ; si vous êtes victime, vous pouvez être le sentimentaliste qui soupire ou la dupe qu’on fait crever… Il me semble que les grands prophètes hébreux, qui furent les plus humains des philosophes, ont donné, il y a bien longtemps — à l’époque où ils lançaient les glorieuses invectives de leur véhémente colère contre un Molochisme dont celui d’aujourd’hui n’est que la continuation mal déguisée