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LE VOLEUR

cette face, pâle d’épouvante, s’est collé le masque menteur du scepticisme. La raison d’être contemporaine ? « J’ai peur de moi ; donc, j’existe. » Époque de cannibalisme silencieux et craintif. L’homme ne vit plus pour se manger, comme autrefois ; il se mange pour vivre. Je ne crois pas qu’en aucun siècle le genre humain ait autant souffert qu’aujourd’hui…

— C’est mon avis dis-je. Mais, vous savez, on prétend que notre époque est une époque de transition.

— Mensonge ! s’écrie l’abbé. Notre époque est une époque d’accomplissement. L’humanité le comprend vaguement ; et c’est pour cela qu’elle a si peur, qu’elle est si lâche… Notre système social mourra bientôt, dans l’état exact où il se trouve actuellement, et il périra tout entier. Aucun changement ne s’accomplira qui puisse établir un lien moral entre ce qui est encore pour un temps et ce qui sera bientôt. Notre civilisation ? On peut la définir d’un mot ; c’est la civilisation chrétienne. L’influence du christianisme ? Elle n’existe point par elle-même. Sa mission a été de diviniser les anciens crimes sociaux. Son action n’a été que celle de la corruption des sociétés antiques, de plus en plus atroce et galvanisée par des signes de croix. L’idée chrétienne ? Une nouvelle serrure à l’ergastule ; cent marches de plus aux Gémonies. Le génie du christianisme ? Une camisole de force. « Jésus, dit saint Augustin, a perfectionné l’esclave. » Oh ! cette religion dont les dogmes pompent la force et l’intelligence de l’homme comme des suçoirs de vampire ! qui ne veut de lui que son cadavre ! qui chante la béatitude des serfs, la joie des torturés, la grandeur des vaincus, la gloire des assommés ! Cette sanctification de l’imbécillité, de l’ignorance et de la peur !… Et cette figure du Christ, si veule, si cauteleuse, si balbutiante — et si féroce ! — Ce thaumaturge ridicule ! Je dis ridicule, remarquez-le, parce que je crois à ses miracles. Ils sont si puérils, à côté de ceux qu’on a faits depuis, en son nom ! Nourrir