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LE VOLEUR

— Oui, j’en ai eu à Paris.

— Alors, vous savez qu’il est encore au dépôt de l’île de Ré ; on retarde autant que possible son départ pour Cayenne, car on craint une évasion. Il n’y a rien à tenter en sa faveur, quant à présent. Une fois qu’il sera là-bas, ce sera autre chose. Je serai informé et vous tiendrai au courant. Je vous serai même utile, si vous le désirez… Pensez de moi ce que vous voudrez, mais soyez convaincu de ceci : lorsque j’ai dit à un homme qu’il peut avoir confiance en moi, je ne le trahis pas.

C’est bien possible, après tout. Qu’est-ce qui n’est pas possible, aujourd’hui ?… Ainsi, cette vieille toquée d’Annie pleure comme une Madeleine parce que je viens de lui annoncer mon départ définitif. Je lui laisse la maison et tout ce qu’elle contient, cependant ; et de l’argent. Et son fils, qui sera libéré bientôt, va revenir auprès d’elle. Malgré tout, elle pleure à chaudes larmes. Ça n’a pas le sens commun.

— Tu devrais venir avec moi à Venise, me dit Roger-la-Honte qui m’accompagne à la gare le matin où je quitte Londres.

Je devrais peut-être, mais je ne peux pas. Il faut que j’aille à Bruxelles ; pour porter à l’abbé Lamargelle les papiers que je lui ai promis. Mais aussi pour autre chose.

Il me serait difficile d’exprimer ce que j’éprouve, depuis quelques jours. Une sensation de lassitude énorme, d’ennui sans fin. La fatigue qui fond sur vous et vous brise, tout d’un coup, quand vous arrivez à l’étape après une marche forcée. Il me semble que de l’ombre s’épaissit, autour de moi ; et, dans cette brume, les lueurs moribondes des souvenirs se ravivent étrangement. Hélène !… Je pense à elle, malgré moi, sans trêve. Il faut que je lui parle, il le faut ; pour lui dire… ah ! je ne sais pas pour quoi lui dire. Je sens seulement qu’elle doit éprouver un peu ce que j’éprouve ; qu’elle a les travers de mon esprit et les maladies de mon cœur ; qu’elle fut, comme moi, sans enfance et sans jeunesse ; et que peut-être… Toujours peut-être !…