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LE VOLEUR

avec bon sens ; tandis que le jeune chrétien, sans cesse dans les transes, passe son temps à faire des confidences aux médecins et à consterner les apothicaires. Quoi qu’il en soit, mes relations avec Issacar m’auront été fort utiles, m’auront fait gagner beaucoup de temps. Sans lui, il est bien des choses dont je ne me serais aperçu, sans doute, qu’après de nombreuses tentatives et de fâcheux déboires. D’abord, il m’a donné une raison d’être dans l’existence.

— C’est de première nécessité, m’a-t-il dit. Que vous ayez fait vos études et votre service militaire, c’est certainement très bien ; mais cela n’intéresse personne et ne vous assure aucun titre à la considération de vos contemporains. Quand on ne veut pas devenir quelqu’un, il faut se faire quelque chose. Collez-vous sur la poitrine un écriteau qui donnera une indication quelconque, qui ne vous gênera pas et pourra vous servir de cuirasse, au besoin. Faites-vous ingénieur. Un ingénieur peut s’occuper de n’importe quoi ; et un de plus, un de moins, ça ne tire pas à conséquence. D’ailleurs, la qualification est libre ; le premier venu peut se l’appliquer, même en dehors du théâtre. Dès demain, faites-vous faire des cartes de visite. Créez-vous ingénieur. Vous savez que ça ne nous sera pas inutile si, comme je l’espère, nous nous entendons.

Je le sais. Issacar a une grande idée. Il veut créer sur la côte belge, à peu de distance de la frontière française, un immense port de commerce qui rivalisera en peu de temps avec Anvers et finira par tuer Hambourg. Il m’a détaillé son projet avec pièces à l’appui, rapports de toute espèce et plans à n’en plus finir. Il a même été plus loin ; il m’a emmené à L., où j’ai pu me rendre un compte exact des choses ; il est certain qu’Issacar n’exagère pas, et que son idée est excellente. Ce n’est point une raison, il est vrai, pour qu’elle ait du succès.

Néanmoins, j’ai été très heureux de voyager un peu. Je ne connaissais rien d’exact, n’ayant passé que