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LE VOLEUR

l’abandonner. Elle ne le quitte donc pas une minute, pour ainsi dire ; et c’est sous les yeux de cette courtisane que ce malheureux, qui est millionnaire, qui a une famille, doit mourir s’il ne veut pas crever seul, comme un chien.

— A-t-il peur de la mort ? demandé-je.

— Une peur terrible. C’en est effrayant et presque dégoûtant. Heureusement, il a eu une crise hier soir et, depuis, il ne peut plus parler ; il comprend encore ce qu’on lui dit. Hier matin, il a pu écrire une lettre à son homme d’affaires.

Je prends note de la date. Hier, c’était le 12. C’est ce chiffre qu’il faudra placer au bas du document que j’ai confectionné à Londres avec un si grand soin. Je recommande à Geneviève de me faire avertir dès que la fin sera proche, et elle part reprendre son rôle de sœur de charité.

— Ce n’est pas amusant, tu sais ; mais je comprends bien que ma présence ne sera pas inutile à tes intérêts — à nos intérêts car, à présent, nous ne faisons plus qu’un. C’est beau, de s’entendre, tout de même ; c’est comme si on était mariés… Compte sur moi et tiens-toi prêt.


Je suis toujours prêt. Et lorsque le domestique de mon oncle, ce matin, vient me chercher « de la part de son maître », c’est avec une rapidité foudroyante que je me précipite dans la rue, que je saute dans un fiacre, et que je me fais conduire rue du Bac, chez l’abbé Lamargelle. Une demi-heure après, nous montons, cet ecclésiastique et moi, l’escalier de la maison du boulevard Haussmann qu’habite mon oncle. Geneviève nous accueille dans le salon qui précède la chambre à coucher dont la porte, restée entr’ouverte, laisse passer les râles du moribond ; elle nous quitte après que je lui ai recommandé de ne nous laisser déranger sous aucun prétexte. Je prends place dans un fauteuil et l’abbé en fait autant.

— Quelle est cette dame ? me demande-t-il.