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LE VOLEUR

la-Honte, semble lui assombrir l’esprit. Il parle des dangers du métier, du plaisir que nous éprouverions à vivre enfin honnêtement, à aller à Venise, par exemple, etc. Une phrase qu’il prononce d’un ton convaincu, surtout, me démontre qu’il est en proie à cette mélancolie sentimentale qui suit souvent les grandes joies.

— Mon vieux complice, me dit-il, ne trouves-tu pas qu’il serait temps de changer de vie ?

Non, je ne le trouve pas du tout. Je remonte le moral de Roger. Et il prend le train de Calais à 8 heures 52. Il doit démontrer à Stéphanus la nécessité de marcher contre son patron, en cas de besoin ; il n’a plus rien à en attendre, en effet ; et il est convenu que nous lui graisserons la patte.

Quant à moi, je reste à Bruxelles pour quelques jours. D’abord, je veux voir comment tourneront les choses. Puis, je tiens à avoir les vêtements que j’ai commandés. J’ai donné des arrhes au tailleur et il ne faut pas que je me laisse voler. Ce serait ridicule.

Le soir même, j’apprends que Delpich a été arrêté à la gare du Nord, en revenant d’Angleterre. Trois jours après, les journaux m’apprennent que sa culpabilité ne fait pas de doute : tout l’accuse ; les histoires qu’il raconte pour sa défense ne sauraient être prises aux sérieux. Naturellement. Il passera devant le tribunal à bref délai et sera condamné sûrement à plusieurs années de prison. C’est bien fait. J’en veux à Delpich. Sa femme m’a mordu la langue.

Vers la fin de la semaine, l’Indépendance annonce que Mme  Delpich, désolée du scandale qui lui rend la vie impossible à Bruxelles, vient de quitter cette ville pour une destination inconnue. Tant mieux pour elle. Je lui envoie mes meilleurs souhaits, et j’espère bien ne la revoir jamais. Elle est charmante, ce Rubens, mais je ne m’y fierais pas.

Le lendemain, je pars pour Londres.