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LE VOLEUR

Libéré ! Ce mot me fait réfléchir longuement, pendant cette nuit où je me suis allongé, pour la dernière fois, dans un lit militaire. Je compte. Collège, caserne. Voilà quatorze ans que je suis enfermé. Quatorze ans ! Oui, la caserne continue le collège… Et les deux, où l’initiative de l’être est brisée sous la barre de fer des règlements, où la vengeance brutale s’exerce et devient juste dès qu’on l’appelle punition — les deux sont la prison. — Quatorze années d’internement, d’affliction, de servitude — pour rien…

Mais qu’est-ce qu’il faudra que je fasse, à présent que je suis libéré, pour qu’on m’incarcère pendant aussi longtemps ? Quelle multitude de délits, quelle foule de crimes me faudra-t-il commettre ?…

Quatorze ans ! Mais ça paye un assassinat bien fait ! Et combien d’incendies, et quel nombre de meurtres, et quel tas de vols, et quelle masse d’escroqueries !… La prison ? J’y suis habitué. Ça me serait bien égal, maintenant, d’en risquer un peu, pour quelque chose. La fabrication des abat-jour ne doit pas être plus agaçante que la confection des thèmes grecs ; et j’aurais mieux aimé tresser des chaussons de lisières que de monter la garde… On ne me mettrait point en prison sans motifs, d’abord. Ensuite, j’aurais au moins, cette fois-là, quelqu’un pour me défendre ; un avocat, qui dirait que je ne suis pas coupable, ou très peu ; que j’ai cédé à des entraînements ; et cætera ; qui apitoierait les juges et m’obtiendrait le minimum, à défaut d’un acquittement. — Et qui sait si je serais pris ?