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LE VOLEUR

déposition écrite ; cette déposition se borne à affirmer que je ne sais rien et que je n’ai rien vu. Après quoi, je prends le train, non pas pour la Dalmatie, mais pour Bruxelles.

Beaucoup de gens, à ma place, resteraient à Paris et fabriqueraient leur rapport, ainsi que cela se fait de temps immémorial, à la Bibliothèque. Mais, moi, je suis consciencieux ; je me trouve dans une position spéciale ; tout le monde l’ignore, mais je ne me le dissimule pas. C’est pourquoi je me mets en route pour la capitale du Brabant.

À Bruxelles, je parcours les établissements que hantent les criminels honteux, les déserteurs ; voleurs occasionnels, escrocs de hasard, caissiers déloyaux, pauvres gens qui vivent dans des transes perpétuelles, qui souffrent tellement que c’est un soulagement pour eux que d’être arrêtés, et qui sont parfaitement convaincus, une fois pris, que leurs angoisses ont déjà expié leurs crimes. Peut-être n’ont-ils pas tort… Je finis par trouver, parmi eux, l’homme qu’il me faut. C’est un insoumis. Il a quitté la France pour échapper au service militaire, effrayé par cette discipline terrible qui est la force principale de l’armée, dont il n’ignore point les excès[1], et qu’il n’aurait pu supporter, à son avis. Car il se croit une très mauvaise tête. En réalité, c’est un mouton. Il m’avoue qu’il est bachelier et qu’il vit assez misérablement.

— Vous auriez mieux fait d’aller au régiment, lui dis-je. La vie de caserne devient de jour en jour plus attrayante ; et quant à la guerre future… Avez-vous entendu parler des fours crématoires roulants, qu’on allumera pendant que les armées se rangeront en bataille et qui seront prêts à fonctionner aux premiers coups de canon ? Quel progrès !… Enfin, chacun son idée. Si vous ne voulez pas être soldat, je n’y puis rien… Maintenant, voici ce que j’ai à vous proposer…

  1. Voir Biribi, Armée d’Afrique.