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LE VOLEUR

bande sympathique l’entoure, lui demande des nouvelles de ses femmes. Il répond malaisément. Renée, qui s’est éloignée insensiblement, me fait un signe et disparaît. Je donne à la bande sympathique les réponses que ne trouve pas Mouratet et je m’arrange de telle façon qu’elle nous barre le passage pendant cinq minutes.

— Viens par ici, dis-je à Mouratet quand nous parvenons à nous dégager. Il faut que je te fasse faire la connaissance d’une petite femme extraordinaire. Tu ne regretteras pas ton temps ; tu vas voir.

Et nous nous mettons à la recherche de la femme extraordinaire, qui n’existe que dans mon imagination, naturellement.

— C’est curieux, dis-je ; elle était là il n’y a qu’un instant ; elle a dû tourner à gauche… Non ; alors, c’est à droite… Ah ! la voici.

C’est une femme. Mais est-ce une femme extraordinaire ? J’engage la conversation, pour voir. Non, c’est une dinde…

— Si vous voulez faire une bonne affaire, lui dis-je à l’oreille, dites à mon ami qu’il vous a fait peur. Répétez-le lui sans trêve.

— Ah ! monsieur Barbe Bleue, s’écrie la Dinde, que vous m’avez fait peur !

Mouratet est enchanté. Ils sont tout de suite très camarades, la Dinde et lui. J’ai eu la main heureuse. Si j’étais tombé sur une femme extraordinaire… Il y a près d’un quart d’heure que Renée s’est éclipsée ; allons, ça va bien. La Dinde se déclare altérée. Admirable ! Nous la conduisons au buffet et je la désaltère de mon mieux. Le champagne lui délie la langue ; Mouratet s’intéresse beaucoup à sa conversation.

— Ah ! monsieur Barbe-Bleue, s’écrie-t-elle, que vous m’avez fait peur ! Quand je vous ai vu…

La Dinde laisse tomber son éventail. Je me baisse pour le ramasser. Lorsque je relève la tête, je m’aperçois qu’une femme en domino noir s’est approchée de Mouratet, lui parle à l’oreille. Le domino noir s’en