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LE VOLEUR

l’âme. Il est si bête ! Encore plus que mon mari. Seulement, qu’est-ce que vous voulez ? — elle allonge son pouce sur son index — ça, ça, toujours ça. Ah ! l’argent !… Il faudra que je vous fasse faire des affaires, cet hiver, pour me remonter une bonne fois. Figurez-vous que je n’ai plus un sou. Armand va recevoir une forte somme de sa mère, dans trois jours ; elle vend deux ou trois fermes qu’ils ont en Normandie ; mais, d’ici là, je suis à sec. Et il faut toujours une chose ou une autre. J’ai le même chapeau sur la tête depuis le commencement de la semaine ; les horizontales se moquent de moi. C’est tout naturel ; vous ne pouvez pas inspirer le respect si vous portez huit jours le même chapeau… Avez-vous deux ou trois cents francs sur vous ?

— Cinq cents seulement, dis-je en consultant mon portefeuille. Voici.

— Bon, dit-elle en glissant le billet de banque dans son corsage ; je vous rendrai ça mardi. Ou, plutôt… donnez-moi votre adresse. J’irai vous dire merci demain matin.

— Je ne peux pas vous donner mon adresse, dis-je en riant. Je demeure chez une personne qui m’a offert l’hospitalité…

— Écossaise. Oui ; j’aperçois la jupe. Que vous êtes méchant ! On dirait que vous vous plaisez à me faire jouer le rôle de Mme  Putiphar… Tant pis pour vous ! Je ne vous rendrai pas votre billet, et vous serez le premier qui n’en aura pas eu pour son argent.

— Il faut un commencement à tout. Dites-moi, petite Renée, elle vous amuse, l’existence que vous menez ?

— Énormément ! je suis faite pour ça, voyez-vous. C’est tellement drôle, de raconter des blagues d’un bout de l’année à l’autre, de n’être jamais ce qu’on paraît, et de se moquer de tout le monde sans avoir l’air de rien ! C’est comme si l’on ne sortait pas du théâtre. On se regarde jouer sa comédie, vous savez, et c’est délicieusement énervant. Des tas de sensations,