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LE VOLEUR

selle. Après tout, elle aurait pu me convertir ; qui sait ? Pour ce que le Diable me paye ma peau, je ferais aussi bien de la vendre à Dieu.

Pas avant déjeuner, pourtant ! L’abstinence serait peut-être de rigueur, et je meurs de faim. Heureusement, Mme  Voisin vient nous arracher, son mari et moi, à un certain vermouth qui creuse énormément l’estomac. À table ! Nous voici à table ! Je dévore ; et les parents de Roger-la-Honte ont le bon esprit de ne point engager sérieusement la conversation avant que mon appétit commence à se calmer ; il semble s’apaiser à l’arrivée de la volaille et la salade le pacifie tout à fait. Quels braves gens, ces époux Voisin ! Et quelle bonne cuisine ils font !

Le père, avec sa face réjouie, encadrée de favoris poivre et sel, à l’air d’un bien digne homme, sans un brin de méchanceté ni d’hypocrisie ; très paternel, surtout. La mère, qui a dû être fort jolie, grasse et ronde, les cheveux tout blancs et le teint rosé, a l’air d’une bien digne femme, affable et franche ; très maternelle, surtout. Je voudrais bien qu’ils fussent mes parents, tous les deux. Oui, je voudrais bien… Ils s’inquiètent de l’existence que nous menons à Londres. Ils s’en inquiètent avec intelligence.

— Mangez-vous bien ? Buvez-vous bien ? Dormez-vous bien ? demande Mme  Voisin.

— Oui, Madame ; très bien.

— Avez-vous des distractions suffisantes ? Les divertissements sont tellement nécessaires ! Vous amusez-vous ? demande M. Voisin.

— Oui, Monsieur, beaucoup.

— Allons, tant mieux ! répondent-ils ensemble. Encore un verre de ce vin-là !

Voilà de bons parents !

— Et les affaires marchent-elles à peu près ? demande M. Voisin.

— Oui, Monsieur, pas mal.

— Et vous prenez toujours bien vos précautions ? demande Mme  Voisin.