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LE VOLEUR

au bien, comme elle dit… j’ai mieux aimé m’en aller. Je suis revenue hier soir… Tu sais que mes parents tiennent un hôtel à Vichy ?

— Oui, ton frère me l’a appris il y a longtemps.

— Ils n’avaient qu’une maison de second ordre, d’abord ; mais leurs affaires ont prospéré, Roger et moi nous les avons aidés un peu, et cette année ils ont pris un établissement superbe, un des plus beaux de Vichy, l’hôtel Jeanne d’Arc.

— Ah ! oui, je vois ça ; sur le parc, n’est-ce pas ?

— Justement. Parmi les personnes qui séjournaient chez eux se trouvait un vieux monsieur, d’une soixantaine d’années, environ ; il était arrivé avec une grande cocotte de Paris, Melle… Melle… je ne me souviens plus du nom — qui lui faisait dépenser l’argent à pleines mains. — Comme il s’appelle M. Randal, j’avais pensé…

— Urbain Randal ?

— Oui, c’est ça ; Urbain Randal.

— C’est mon oncle, dis-je ; ah ! il est à Vichy…

— Oui, avec la cocotte en question ; je te prie de croire qu’elle le mène tambour battant et qu’elle s’entend à faire danser ses écus. C’est dommage que je ne me rappelle pas… Mais qu’est-ce que tu as ? Tu fais une mine ! On dirait qu’aux nouvelles que j’apporte tes beaux yeux vont pleurer… Ah ! je sais ! Tu penses à l’héritage. Dame ! mon vieux, tu peux te préparer à le trouver écorné ; elle a de belles dents, la cocotte…

Non, ce n’est pas à l’héritage que je pense. C’est une autre idée qui m’est venue, et qui se cramponne à moi, de plus en plus fortement, depuis que Broussaille m’a quitté. Voilà trois heures qu’elle a commencé à m’assaillir, cette idée, et elle a fini par triompher. Mon parti est pris. Je vais me mettre en route pour Vichy ce soir, empoigner mon oncle demain, et lui tordre le cou… Et il y a longtemps, à vrai dire, que cette pensée de vengeance, qui se formule seulement à présent d’une façon précise, a germé en moi, erre dans