Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/351

Cette page a été validée par deux contributeurs.
334
LE VOLEUR

— Tu ne m’en veux pas ? demande-t-elle en se serrant contre moi. Tu aurais peut-être désiré rester encore ici quelque temps, et je suis bien égoïste et bien capricieuse…

— Mais non, petite femme, je ne t’en veux pas ; je n’étais content d’être ici que parce que tu y semblais heureuse ; et puisque tu as cessé de t’y plaire, il faut nous en aller ; voilà tout.

C’est égal, je serais bien aise de savoir ce qui a pu se passer… Oh ! rien du tout, probablement. Charlotte est la franchise même et du moment qu’elle ne parle pas… Fantaisie de femme, tout simplement… lubie…


Il y a presque trois mois que nous sommes revenus à Londres, et je n’ai guère passé plus de six semaines avec Charlotte. J’ai été obligé de la quitter à plusieurs reprises. Les affaires !… Elles ne vont pas mal, en ce moment. Nous avons fait trois ou quatre petits coups, Roger-la-Honte et moi, qui n’étaient vraiment pas à dédaigner, et nous en avons encore deux autres, assez jolis, sur la planche. Le premier est pour après-demain, à Orléans, et il faut nous mettre en route ce soir. Eh ! bien, j’ai peur de partir…

J’ai peur parce que je sens les craintes terribles de Charlotte me gagner et s’emparer de moi irrésistiblement. Son effroi devant l’inconnu finit par me glacer et son épouvante m’énerve. Chaque fois, lorsque j’ai été sur le point d’entreprendre une expédition, une frayeur intense, qu’elle a fait de vains efforts pour maîtriser, l’a saisie et comme affolée. Des convulsions de terreur la bouleversent et les tentatives auxquelles je me livre pour la calmer et la rassurer me fatiguent les nerfs et m’irritent. Et, quand je reviens, ce sont des transports de joie, des emportements de bonheur, dont la violence me révèle toutes les angoisses par lesquelles a passé, pendant mon absence, cette femme qui m’aime et qui tremble de me perdre. Oui, son effarement se communique à moi, me trouble ; et aujourd’hui, je