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LE VOLEUR

— sur le zéro fatidique, le zéro que vous laissez de si bon cœur aux autres, ailleurs qu’ici, et qui vous réserve de vilaines surprises, ailleurs qu’ici…

— Je vais risquer quelques sous pour m’amuser, dis-je à Charlotte. Ne veux-tu pas jouer un peu, toi aussi ?

— Non, non, répond-elle avec une petite moue de mépris.

Je m’approche d’une table et je place quatre ou cinq louis au hasard… Mon numéro gagne. Je ramasse mon or ; mais j’ai à peine eu le temps de prendre la dernière pièce que Charlotte me saisit le bras.

— Viens, viens, me dit-elle d’une voix sourde ; allons-nous-en…

Je la regarde et je reste stupéfait. Elle est affreusement blême et ses yeux, agrandis par l’effroi, se fixent désespérément sur les miens, comme pour s’interdire de se porter vers quelque chose qu’ils viennent de voir.

— Qu’est-ce que tu as ? Te trouves-tu mal ?

— Un peu… Viens, je t’en prie…

Elle s’appuie à mon bras pour sortir ; et je la sens frissonner, lutter encore contre l’émotion subite qui l’a envahie et dont je ne m’explique pas la cause.

— J’espère que tu te sens mieux à présent, dis-je en traversant les jardins. Veux-tu te reposer ici un instant ?

— Non, merci ; je suis tout à fait remise, répond-elle en s’efforçant de sourire. Je ne sais ce que j’ai éprouvé, tout d’un coup… J’ai eu comme un éblouissement.

— La chaleur, peut-être…

— Oui, sans doute… et puis, voici déjà trois mois que nous sommes à Nice. J’ai entendu dire que lorsque l’hiver finissait… Si tu voulais, nous partirions… Nous partirions demain.

— Demain ? Et où irions-nous ? À Londres ?

— Oui, à Londres ; où il te plaira… Je voudrais aller loin d’ici, très loin…

— Quelle drôle d’idée ! Enfin, si tu y tiens…