Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/338

Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
LE VOLEUR

les côtes. Il aura eu plus de peur que de mal, le vieux scélérat… Je regarde les flammes mordre les papiers et les consumer lentement.

Mais Charlotte vient me jeter ses bras autour du cou.

— Pardonne-moi, me dit-elle pendant que de grosses larmes roulent sur ses joues. Comment puis-je te faire des reproches, à toi qui viens de risquer ta liberté, peut-être plus, pour sauver ton enfant… Mais je suis tellement tourmentée, tellement énervée, vois-tu !… Je n’ai plus la tête à moi. J’ai des pressentiments si noirs !…

— Tu as tort, dis-je en l’embrassant. J’espère que le médecin qui va venir pourra te rassurer.

— Elle est si mal, si mal ! Elle est assoupie, pour le moment ; mais si tu avais vu ces crises… Viens la voir.

Ah ! c’est effrayant… Mais ce n’est plus là l’enfant que j’ai vue hier soir, que j’ai vue ce matin encore ! On dirait qu’on a mis un masque, un masque de vieillard, sur cette petite figure ; il y a des rides, sur cette face de bébé dont on a coupé les boucles blondes, fines comme des flocons de soie ; et un cercle noir cave les yeux.

— Est-elle changée ! murmure Charlotte en sanglotant. Crois-tu ?… Et elle ne pouvait presque plus parler… Comme elle a grandi ! Regarde. On croirait qu’elle a trois ans…

Annie entre dans la chambre.

— Monsieur, dit-elle, le docteur vient tout de suite ; il veut avoir cent livres.

Il les aura. Puisse-t-il faire quelque chose, mon Dieu !… Minuit. Les cloches, de tous les côtés, se mettent à sonner joyeusement.

— Noël ! dit Charlotte en se laissant tomber sur une chaise. Seigneur ! Seigneur ! que je souffre ! Oh ! c’est affreux…

Oui, Noël, sainte journée. Jour de paix et de bonne volonté…