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LE VOLEUR

elle n’a point été gaie, cette conversation entre l’honnête homme, fils du voleur, et le voleur, fils de l’honnête homme.

— J’ai éprouvé ma première joie, me dit-il en se retirant, lorsque j’ai connu la jeune fille qui est devenue ma femme. Elle était pauvre, mais bonne et courageuse ; et, de nos deux pauvretés et de notre amour, nous essayons de faire du bonheur.

Ils y réussissent, je crois. J’ai passé la journée du lendemain avec eux, car Albert avait demandé à la maison qui l’emploie de lui donner congé pour un jour. Ils ont été charmants envers moi, mettant les petits plats dans les grands — de grands plats qui ne doivent pas servir souvent, hélas ! — Ils s’aiment, malgré tout, sont pleins d’attentions et de prévenances l’un pour l’autre ; et je me trouve très attendri devant le spectacle de cette existence humble et terne, mais qu’illumine pourtant, comme un rayon de soleil, le charme d’une affection sincère. C’est vrai, ça m’émeut tout plein…


. . . . . . . . . Hé ! qui peut dire
Que pour le métier de mouton
Jamais aucun loup ne soupire ?


Et le soir, quand je les ai eu quittés devant le bateau où ils m’avaient conduit, pendant que le navire descendait l’Escaut, je me suis pris à me prôner à moi-même et à envier, presque, leur bonheur…

Leur bonheur ! Est-il réel, ce bonheur-là ? Est-il possible, seulement, avec une vie besogneuse, faite du souci du lendemain, des humiliations du jour et des privations de la veille ? N’est-ce pas une illusion, plutôt ? Leur amour n’est-il pas lui-même une chimère, le voile d’un rêve d’or devant les hideurs de la réalité, un mirage vers lequel ils tendent fiévreusement leurs yeux, effrayés de regarder autre part ?… Fantôme de bonheur ! Simulacre d’amour !

Vie modeste, mais heureuse… Des blagues ! Elle a aussi, cette existence-là, ses ennuis qui la harassent, ses chagrins qui l’assaillent. Ennuis vulgaires, cha-