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LE VOLEUR

rait nous entendre, et c’est inutile. Je lui ai dit que tu étais traqué à cause de tes opinions, et tu peux compter sur elle comme sur moi. Qu’as-tu l’intention de faire ? Quitter Anvers le plus tôt possible, je pense ?

— Oui ; pour l’Angleterre.

— Alors tu prendras le bateau demain soir. D’ici là, reste chez moi ; c’est plus prudent. Nous ne sommes pas riches, mais nous pouvons toujours t’offrir un lit… Je vais chercher ma femme.

Il sort et reparaît avec elle une minute après. Une petite blonde, plutôt maigre, gentillette, l’air timide. Très aimable aussi, bien qu’elle paraisse un peu troublée devant un étranger — un étranger qu’on lui a présenté comme un conspirateur. — Il est entendu que je coucherai dans la chambre de sa sœur, une jeune personne qui demeure avec eux mais qui est absente pour le moment.

Albert m’y a conduit, dans cette chambre où je vais dormir, moi qui viens d’échapper au grabat de la cellule, dans un lit de jeune fille. Et nous avons causé longtemps. Il m’a raconté la triste histoire que je pressentais : le père, privé de ses droits à la retraite et presque ruiné par le remboursement des sommes détournées, se décidant à quitter la France et mourant bientôt de chagrin, en Belgique, sans avoir pu trouver d’emploi nulle part. La mère parvenant, par un travail de mercenaire, à élever son fils, à lui faire terminer ses études, tant bien que mal, et succombant à la tâche avant qu’il lui fût possible, à lui, de l’aider. Et personne pour tendre la main à ces malheureux, pour leur faire même bonne figure ; personne. Et Albert, après avoir accompli son temps de service militaire en France, car il a tenu à rester Français, revenant en Belgique et finissant, avec bien du mal, par trouver une place dans les bureaux d’une Compagnie de Navigation, qui lui permet de vivre, tout juste. Il n’a pas voulu me laisser m’expliquer sur ma situation, qu’il devine ; il n’a fait preuve d’aucune curiosité et ne s’est pas permis un mot de blâme. Non,