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LE VOLEUR

cher des fleurs bleues dans le ruisseau au lieu d’arracher des pommes d’or dans les jardins qui ont des grilles.

Paternoster commence à m’embêter. Je n’aime pas beaucoup ses sermons et les questions qu’il me pose, depuis quelque temps, me déplaisent infiniment. Il a lu mes articles dans la « Revue Pénitentiaire » et prétend que j’ai un beau talent d’écrivain. Ne serais-je pas heureux de l’utiliser ? Ne saurais-je point parler en public ? La politique ne m’attirerait-elle pas, si les moyens m’étaient donnés de jouer un rôle à sensation sur la scène parlementaire ? Ai-je oublié, par exemple, que Danton était un voleur ? Et un tas d’autres interrogations qui me rappellent, je ne sais pourquoi, les propositions voilées que m’a faites ce malheureux Canonnier. Mais je ne me fie pas à Paternoster. Je sais qu’il a pris des renseignements sur moi et je lui en veux, s’il a des intentions à mon endroit, de manquer de franchise. Du reste, il devient d’un pingre !… C’est un Turc. Bientôt, on ne pourra plus rien faire avec lui. L’autre jour, il a refusé quarante livres à un camarade qui en avait besoin pour faire un coup. Il finit peut-être par se croire honnête ; et il se mettrait au service de la police que je ne m’en étonnerais pas.

— Si vous aviez deux sous de bon sens, me dit-il, vous feriez comme moi et les femmes ne vous tourmenteraient guère. Savez-vous comment je m’y prends, moi ? J’ai fait la connaissance d’une Anglaise, une de ces malheureuses petites filles, esclaves de la machine à écrire, qui se flétrissent avant l’âge dans les bureaux de la Cité et se nourrissent de thé et de pâtisseries équivoques. Je l’ai installée dans un logement que je lui ai meublé près de Waterloo Road, où elle vit fort satisfaite. Je passe pour un bon papa, veuf et pas très riche, point exigeant non plus ; je vais la voir tous les soirs, à six heures, en sortant de l’office ; je dîne avec elle, je la quitte vers les onze heures et je rentre chez moi à pied. La promenade me fait du bien, et je vous garantis…